Le musée Wilhelm Hack à Ludwigshafen (Allemagne, région du Palatinat) présente à partir du 20 octobre 2012 jusqu’au 17 février 2013 l’exposition Schwestern der Revolution, Künstlerinnen der russischen Avantgarde. Organisée conjointement avec la Galerie Tretiakov de Moscou, cette présentation inclut un large éventail d’œuvres des principales artistes-femmes de l’avant-garde russe du début du XXe siècle. Et elles furent nombreuses et parfois d’une qualité tout à fait remarquable !
Les œuvres choisies s’échelonnent principalement dans les deux décennies – précédant et suivant la « Révolution d’Octobre », terme qui malgré les nombreuses réévaluations critiques concernant la prise de pouvoir bolchevique en 1917 (sujet particulièrement provocateur en Allemagne) continue de fasciner le jeune spectateur.
Le choix d’œuvres s’appuie non seulement sur la collection moscovite, renommée dans ce domaine par sa richesse, mais inclut aussi des œuvres de la collection Hack, ensemble qui a constitué la pierre fondatrice du musée de Ludwigshafen. Wilhelm Hack (1900-1985), collectionneur fort averti de Cologne et dont le souvenir de l’amitié qu’il me témoignait m’est resté cher, fut certainement le premier grand collectionneur européen à s’intéresser sérieusement à l’avant-garde russe, ce dès le milieu des années 1950.
Faisant preuve d’un rare discernement historique et d’un exceptionnel sens de la qualité, Hack acquit au cours des trois dernières décennies de sa vie des œuvres majeures non seulement de Mondrian, Schwitters, Macke ou Pollock, mais aussi, si non avant tout, de Malewicz, Lissitsky, Kliun, Popova ou Exter.
La juxtaposition des œuvres de l’ancienne collection Hack avec celles de la Galerie Tretiakov ne fait que mieux mettre en valeur le rôle précurseur de Wilhelm Hack, sa perspicacité et son sens de la qualité.
Parmi les peintures figurant à l’exposition Schwestern der Revolution domine une large sélection de tableaux de Gontcharova, artiste dont la Galerie Tretiakov détient la plus grande et plus impressionnante collection. Parmi les œuvres des autres femmes-peintres figurent plusieurs fort intéressantes compositions d’Olga Rozanova et Popova, la dernière étant – comme il se doit dans la vulgate d’aujourd’hui — inévitablement mise en compagnie de Nadejda Oudaltsova, artiste mineure, mais émule respectable du cubisme parisien, qu’elle eut l’occasion de pratiquer à Paris.
Quant à Alexandra Exter, à part quelques belles gouaches théâtrales (projets de costumes et de décors pour le théâtre moscovite de Taïroff, le théâtre « de chambre »), deux peintures la distinguent immédiatement: une composition abstraite de la collection Hack (« Construction de surfaces–plans d’après le mouvement de la couleur » de 1918) œuvre qui en 1972 figurait à la première exposition posthume de l’artiste et qui depuis a fait le tour du monde dans les publications consacrées au « constructivisme russe » et une œuvre cubo-futuriste de l’hiver 1914-1915. La dernière que l’on peut identifier avec la peinture « Boulevard parisien, le soir » (peinture exposée au printemps 1915 à l’exposition « Tramway V » de Saint-Pétersbourg) fut certainement peinte à Paris.
L’apparition de cette peinture fut le résultat de l’exposition parisienne de 1972. À l’automne 1972, j’ai eu à Paris la première visite du collectionneur moscovite Georges Costakis qui, à l’instar de l’ensemble de la communauté « avertie » de Moscou, ignorait à ce moment presque complètement la création d’Alexandra Exter. Je l’ai beaucoup encouragé à se lancer sur les traces moscovites d’Exter en lui indiquant un certain nombre d’amis de l’artiste. Peu après plusieurs peintures d’Exter sont apparues sur les murs de l’appartement moscovite de Costakis.
Boulevard parisien, le soir qui constitue un des sommets de la création cubo-futuriste d’Exter est certainement une des œuvres les plus importantes de l’artiste. Rarement exposée, car pas encore suffisamment appréciée, cette peinture d’une richesse d’éléments dynamiques et d’une non moins remarquable originalité compositionnelle reste incomprise, donc peu connue à ce jour, pourtant on est face à l’une des œuvres cubo-futuristes les plus accomplies de l’époque et ce, non seulement dans la perspective « avant-gardiste » de l’art russe mais aussi du point de vu de la peinture européenne tout court. On comprend qu’ayant vu dans l’atelier parisien d’Exter des peintures de cette qualité, Herwarth Walden ait proposé au printemps 1914 à l’artiste russe une exposition personnelle dans sa galerie berlinoise. Cette exposition était prévue pour l’hiver 1914-1915, mais en raison de l’éclat de la Première Guerre mondiale elle n’eut pas lieu. Les organisateurs de l’exposition de Ludwigshafen ne se sont pas trompés, cette peinture qui figure sur la couverture du catalogue justifie à elle seule le voyage à Ludwigshafen.
On doit ajouter que l’exposition de Ludwigshafen est accompagnée d’un beau catalogue réalisé avec maîtrise et en même temps avec simplicité. Une réussite que l’on doit au directeur Reinhard Spieler et à son conservateur Nina Gülicher et dont le musée Wilhelm Hack tire un vrai profit, car cette collection qui, faute de bonne direction, somnolait depuis quelques deux décennies sinon plus, resplendit soudainement et à juste titre. C’est non seulement la première en Occident et une des meilleures de son genre, mais elle se distingue également par des œuvres de première qualité, parmi lesquelles figurent deux des plus belles peintures de Kazimir Malewicz qui soient visibles en Europe occidentale. Bel hommage rendu au rôle précurseur de Wilhelm Hack.
Andréi Nakov
Schwestern der Revolution
Künstlerinnen der Russischen Avantgarde
20.10.2012 – 17.2.2013
www.wilhelmhack.museum
Wilhelm-Hack-Museum
Berliner Straße 23
D-67059 Ludwigshafen am Rhein
T ++49 (0)621. 504-3045
F ++49 (0)621. 504-3780
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